• Georges Robert - Souvenirs de sa fille

    Georges Robert - organiste (souvenirs de sa fille)

     Article

    Paru au Bulletin des Amis de l'Orgue de VERSAILLES - 2002.

    Décédé le 7 novembre 2001. 

    Georges ROBERT (biographie)

    Georges Robert à l'orgue - photo

    G. Robert à l'orgue de l'Institut National des Jeunes Aveugles - Paris

    Chers amis,

    En lisant le numéro de janvier 2002 du bulletin d'information de l'association des amis de l'orgue, je me sens profondément interpellée : je dois absolument témoigner de la relation exceptionnelle que j'ai eue avec mon père, Georges Robert, et, pourquoi pas, écrire dans le numéro spécial du bulletin que l'association veut bien lui consacrer.

    Car Cette relation n'était pas seulement filiale. C'est une relation qui m'a construite en tant que musicienne et en tant qu'artiste.

    Lorsque j'étais enfant, j'entendais mon père au piano, à l'orgue, donnant ses leçons. Je peux bien lui avouer aujourd'hui que je suis restée très souvent l'oreille collée contre la porte du salon pour écouter ce qui se passait derrière...

    Il me serait impossible aujourd'hui d'énumérer tout ce que j'ai appris par ces écoutes indiscrètes. Ce sens du phrasé directement issu du fonctionnement organique de l'oeuvre musicale, cette pédagogie fondée d'abord sur la rencontre humaine avec l'élève, cette manière d'être qu'il avait m'ont imprégnée jusqu'au plus profond de mon être.

    Je ne saurais compter les heures durant lesquelles nous sommes restés tout deux debout, l'oreille collée contre un poste de radio bien modeste à l'époque, à écouter France-Musique. Ces séances duraient des soirées et des dimanches entiers pendant lesquels de temps à autre, mon père faisait un petit commentaire, attirait mon attention sur telle ou telle entrée de sujet de fugue, sur tel instrument ou telle alliance d'instruments insolites, sur une orchestration particulièrement fine et réussie.

    J'entends encore ses exclamations : "C'est magnifique !", ou bien encore : "Viens écouter ça ! À ton avis, de qui est-ce?" et, peu à peu, l'âge venant, je devinais de mieux en mieux de qui pouvait bien être l'oeuvre que nous écoutions. Bien entendu, c'était une victoire lorsque je trouvais. Mais, si je ne trouvais pas, ce n'était pas un échec et, bien souvent, je comprenais par les commentaires qui suivaient les raisons pour lesquelles j'aurais pu deviner.

    Mon père ne me décourageait jamais, même lorsque j'ânonnais au piano... Je crois qu'il était heureux de m'instruire, bien que cette instruction se fisse souvent de manière mono-syllabique : il ne m'assénait jamais de grandes dissertations sur la composition musicale ou sur l'histoire de la musique. C'était au contraire une fréquentation simple et assidue de la musique à laquelle il m'invitait et à laquelle je me prêtais... avec un immense bonheur.

    Cette fréquentation et celle de ses concerts auquels je n'étais pas peu fière d'assister, (à l'école le lendemain, je portais ces sons et cette embiance de recueillement et de contemplation dans le secret de ma propre méditation - insoupçonnable de mes camarades comme de mes professeurs...), ce vécu authentique, me faisaient entrer dans le mouvement musical tel que mon père le concevait, c'est-à-dire comme la rencontre de l'intimité de la partition et de l'intimité de l'interprète. L'interprétation d'une oeuvre était pour lui et est pour moi aujourd'hui ce qui résulte d'un face-à-face respiratoire entre la musique et l'humain, entre le souffle de la partition et celui de l'interprète, qu'il soit organiste, pianiste, violoniste, chanteur... Peu importait que l'instrument fût à vent ou à cordes, toute musique devait respirer, devait intégrer en elle l'inertie de la matière vivante, l'en-train-de-se-faire de l'invention. Mon père m'a nourrie de cet adossement au vivant qui me porte aujourd'hui et me guidera jusqu'à la fin de ma vie.

    Lorsque vers l'âge de 18 ans j'ai commencé à travailler le chant, loin de me décourager, mon père m'a laissé faire. Il s'est intéressé à mon travail sans m'étouffer, sans m'écraser de son expérience immense. Parfois, il s'étonnait de ma façon de travailler, mais, toujours, il écoutait mes explications, persuadé que je connaissais ce domaine mieux que lui.

    Alors que j'avais seulement cinq ans de travail vocal, il m'a permis de donner mon premier concert, à La Bernerie-en-Retz (Loire-Atlantic). J'étais alors toute débutante et il m'a honorée de sa confiance, et de cela, je lui serai éternellement reconnaissante.

    Aujourd'hui, lorsque je chante, lorsque je donne cours, mon père est à la fois un adossement et une direction. Son influence me conduit vers l'accomplissement de moi-même et vers le désir de faire accoucher mes élèves de ce qu'ils sont.

    Les derniers temps de sa vie et malgré la maladie, il trouvait encore la force de m'encourager dans toutes mes entreprises.

    A cet hommage que je rends aujourd'hui à mon père, je désire associer mon grand-père, organiste à Saint-Pol de Léon (Finistère), de qui mon père a hérité, outre sa formation de base de musicien et cette même imprégnation musicale qu'il m'a transmise, une large réceptivité à l'art théâtral et poétique. En effet, on le sentait rêveur au seul nom de la poétesse Marie Noël ; il partait dans de secrètes divagations à la seule évocation d'une lumière, d'une image colorée, du soleil du soir qui exerçait sur lui une invincible fascination... Il voyageait en lui-même et contemplait silencieusement.

    Et maintenant, chers amis, c'est vous que je veux remercier d'avoir reconnu comme vous l'avez fait le talent de cet artiste d'une rare dimension, et de me permettre aujourd'hui, par ces quelques lignes, de porter témoignage.

    Agnès ROBERT


    Son orgue de salonPhoto orgue de salon de G Robert

    Discographie :
    - Intégrale de l'oeuvre pour orgue de François Couperin (1965)
    - Intégrale de l'oeuvre pour orgue de César Franck, orgue Cavaillé-Coll de l'Institut des Jeunes Aveugles, Paris (ILD, 1994)
    - Musique française et espagnole - abbaye Notre-Dame de Sarrance (Escale Toulouse - 1995) : L. Couperin, L.N. Clerambault, Cabezon, Cabanielles, Santa Maria, J.A. Guilain.